Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

Fati Fousséni, une conteuse togolaise issue de métissage culturel

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L’objectif du conte est bien de distraire, d’amuser, donnant ainsi à l’esprit la possibilité de faire appel à toutes les ressources de l’imagination. Gardien et garant d’une autorité morale et juridique traditionnelle, le conte tente de perpétuer, sous une forme merveilleuse, les normes de conduite traditionnelles comme l’exprime si bien Aminata Sow Fall : « le conte est le véhicule privilégié de la sagesse africaine. Il exprime les aspirations les plus profondes du groupe social dont il assure la cohésion autour de systèmes de valeurs et de croyances qui doivent être consolidés pour l’équilibre et la survie de la société »[1]. Dans l’écosystème du conte au Togo, il y a une femme qui s’est imposée par son travail et son style. Il s’agit de Fati Fousséni. Allons à sa rencontre.

Entre une influence d’une grand-mère et le FESTHEF

Conteuse professionnelle, Fati Fousséni est née à Nadoba dans la préfecture de la Kéran en pays Koutammakou (classé sur la prestigieuse Liste du patrimoine mondial de l’humanité depuis 2004 !) au nord-est du Togo d’un père Béribéri (Niger) et d’une mère Gourmantché (Burkina Faso). Elle fit ses études primaire et secondaire à Nadoba où elle vivait auprès de sa grand-mère, Yayi, d’origine Bariba (Bénin) qui chaque soir lui racontait des contes bariba, tamberma ou ditammari, haoussa, dendi et djerma. Grâce à cette gardienne du temple du patrimoine de l’oralité, elle a pu se faire forger l’étoffe de conteuse professionnelle au point où aujourd’hui elle peut être considérée comme la doyenne, l’aînée des conteuses togolaises. Fati Fousséni témoigne de la place qu’occupe cette figure tutélaire dans sa carrière : « C’est grâce à cette grande dame que je suis devenue de ce que je suis aujourd’hui. Je le reconnais. Elle m’a beaucoup transmis. Elle m’a toujours donné des conseils. Elle m’avait toujours rassurée en me mettant en confiance. Elle disait que j’étais sa canne… »  Elle est donc le fruit du brassage de plusieurs cultures ouest africaines. Elle se forme à l’informatique en 2000 à Lomé où elle côtoie le milieu artistique proche du Festival de théâtre de la fraternité, FESTHEF. Puis, elle se forme en administration de compagnie, en management culturel et en management d’artiste. En outre, depuis 2006, elle a suivi un certain nombre d’ateliers de conte organisé par le FESTHEF notamment avec la conteuse française Sonia Koskas et avec le conteur togolais, Rogo Fiangor. Elle avait décidé présenter au public d’ici et d’ailleurs son répertoire de contes en décembre 2007, après une belle prestation à la dixième édition du FESTHEF et les autres éditions du FESTHEF 2009 et 2011. 

Son parcours à travers de multiples festivals et ateliers de formation

Elle était ensuite retenue pour suivre un atelier organisé par un autre conteur togolais résident en France, Sylvain Kodjo Mehoun en 2007, puis l’année suivante avec le grand conteur Hassane Kassi Kouyaté dans le cadre des ateliers de la deuxième édition du Festival Gain du Conteur à Lomé et en décembre 2009 avec le célèbre conteur, Jlhad Darwiche. Elle participe avec brio à plusieurs festivals et manifestations culturelles notamment le Festival Zogbodo 2009 (jeune public de Cotonou) ; la quatrième édition du Festival international du conte du Togo (FESCONTE 2008) aux côtés des conteurs Atavi G (Togo) ; Abdou Fall (France/Sénégal) ; Maurice Sam (Martinique) ; le Festival international du conte et de la parole (FICOP) au Bénin en 2008, 2010 et 2012 avec Martine Caillat. Le Festival international de théâtre et de Marionnettes de Ouagadougou (FITMO) 2010 au Burkina Faso ; le Festival international de théâtre du Gabon (FITHEGA) 2012 et 2023 à Libreville, FITMO 2014 ; le festival Emergence 2015 à Niamey au Niger ; le Festival international du film des lacs et lagunes à Abidjan (FESTILAG) en 2019 et 2022 ; le festival N’kawawouma à Abidjan en 2019 ; le festival Afotoué à Yamoussokro en Côte d’Ivoire en 2019, 2021 et 2022 ; le festival Bijini bijini 2019 à Niamey au Niger ; le Festival Village dans une ville à Ouagadougou en 2019 et 2021; le festival Yeelen à Bobo Dioulasso au Burkina Faso en 2019 

Vers la fin de l’année 2020 année de la covid, elle organise le festival voix des reines. Cette même année, avec l’appui de l’institut Goethe elle organise quelques ateliers culturels à Lomé et à Blitta. Ensuite en 2021 elle participe au festival Parole d’Amazone ; le Festival Parole de Conteur à Abidjan en 2022 et 2023 ; le Festival international du conte et de la parole (FICOP) en Afrique centrale en 2023; le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) à Ouagadougou en 2023.

Le travail de création de Fati Fousséni

Fati Fousséni donne régulièrement des spectacles de contes pour enfants au Centre culturel Adokpo et elle anime un atelier de conte à l’Espace Digoré de Lomé. Elle participe en 2009 à la création du « Grand Destin » qui est une adaptation du classique éwé, Les aventures d’Agbezuge ou Amégbétoa du Ghanéen Sam Obianim, dans une mise en scène de Sylvain Kodjo Mehoun et Encre indélébile en 2012 avec Gnim Atakpama. Depuis 2011 elle anime une émission de contes dénommée « Otoukpa » à la télévision togolaise (TVT).

Elle a à son actif un répertoire riche, dense et diversifié de contes traditionnels et à la sauce contemporaine des peuples bariba, tamberma et dendi… notamment « Chabinaré » ; « Tass éta » ; « Tokou l’autruche » ; « Tani », « Nadéba »… Fati Fousséni conte en français et dans une demi-douzaine de langues africaines notamment le bariba, le dendi, le tamberma ou le ditammari, le tem, le djerma et le mina. Conteuse dynamique et battante, elle a adopté « Pêtempia ! Pia ! » comme slogan de ralliement et de relance entre le public et elle. « Pêtempia » est en langue tamberma ou ditammari, et cela veut dire littéralement tire le fusil de ton mensonge pour que je tire également mon fusil de mon mensonge. Sur scène, pour accompagner et agrémenter ses contes, elle joue l’instrument de musique appelé « Ahoko » utilisé communément par les femmes baoulé de la Côte d’Ivoire.

Elle résume sa démarche : « Souvent c’est une histoire que j’ai écoutée de la bouche de ma grand-mère depuis mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse dans d’autres langues et que je traduis en français sur papier, je travaille et retravaille le texte, je réécris l’histoire à ma manière de conteuse en ajoutant certains ingrédients qui puissent véritablement emballer le public. »

Il est très intéressant de constater que les thèmes que Fati Fousséni aborde dans ses contes ont tous un rapport étroit avec la morale de l’Afrique traditionnelle. Ils révèlent, en effet, des valeurs auxquelles la société traditionnelle tient beaucoup, à savoir : l’obéissance, la discrétion, le respect des engagements, l’hospitalité, la serviabilité, la justice, la reconnaissance, la bonté, l’amour, la solidarité familiale, le respect des anciens et des aînés, l’intelligence, la bravoure, etc. Ces valeurs constituent le fondement même de la morale africaine, une morale sociale qui indique à chacun comment vivre et se conduire pour son bonheur personnel et celui de la société dans son entièreté.

Le festival VOIX DES REINES

La conteuse professionnelle a créé un festival de contes dénommé « Voix des Reines » en mars 2013 à Lomé. Il s’agit d’un évènement qui rassemble des conteuses de la sous-région ouest africaine autour de la date du 8 mars qui est la commémoration de la Journée internationale de la Femme. En 2020 par exemple, le festival « Voix des Reines » était à sa cinquième édition grâce à des conteuses venues de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Mali, du Burkina, du Bénin et naturellement du Togo. En dehors de la célébration de la date du 8 mars, il avait été prévu plus tard une tournée nationale avec les artistes togolaises ayant participé à cette édition. Mais malheureusement cela n’a plus été possible à cause de la crise sanitaire due au COVID 19. Durant cette période, Fati Fousséni avait participé à quelques événements en ligne comme Festival international des patrimoines immatériels (FIPI) et le « #228cultureathome » entre autres.

L’équipe du festival s’est organisée plus tard pour que les autres éditions du festival « Voix des Reines » dépassent le cadre de la capitale togolaise et de la région maritime au sud du Togo pour tendre vers une tournée nationale couvrant l’entièreté du territoire avec une dizaine de femmes conteuses d’Afrique et d’ailleurs.

Le conte reflète la vie de tous les jours, qu’il tente de diriger, d’orienter, en prodiguant les règles de comportement susceptibles de faire de l’homme un être très équilibré. Depuis les temps immémoriaux, le conte dans les sociétés traditionnelles, en général, et en Afrique, en particulier, a toujours servi d’outil pédagogique privilégié aussi bien dans l’éducation des enfants que dans la transmission des valeurs traditionnelles d’une génération à l’autre. Généralement défini comme un récit d’aventures imaginaires à vocation didactique, le conte en Afrique est toujours dit aux jeunes par les anciens (en l’occurrence parents, grands-parents et proches de la famille), à la tombée de la nuit. En outre, il met souvent en scène aussi bien des animaux que des humains et se termine toujours par une leçon de morale. Et Fati Fousséni ne déroge pas à cette noble mission.

Adama AYIKOUE,

Gestionnaire de Patrimoine culturel

[1] SOW FALL Aminata, citée par DOGBE Yves – Emmanuel in « Misegli ou l’esthétique d’une création littéraire », publié dans La tradition orale, source de la littérature contemporaine en Afrique, Editions NEA, Dakar – Abidjan – Lomé, 1984, p. 105.

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