Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

Franc CFA/ Entretien avec Dr Georges William Assiongbon Kouessan: « Quelles que soient les difficultés auxquelles nous serons confrontés, le plus important est la naissance de la nouvelle monnaie »

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L’actualité économique sous-régionale est marquée depuis quelques jours par un colloque sur le franc CFA qui se déroule sur le campus universitaire à Lomé, à l’initiative de la Faculté des Sciences Economiques et de gestion (FASEG).  Dr Georges William Assiongbon Kouessan, le président du parti politique « Santé du Peuple » n’est pas insensible à un tel sujet aussi prenant et demandant que la Covid-19 qui cristallise – légitimement – toutes les attentions et toutes les énergies. L’homme politique que nous avons rencontré au siège de son parti « Santé du Peuple » sis au quartier Bè Kpota à Lomé, aborde les questions économiques et monétaires avec aise, méthode, motivation et un engagement semblable à celui avec lequel il traite les causes médicinales ou sanitaires. Ce « double Docteur » en médecine et en pharmacie, acteur politique bien connu, candidat à la présidentielle de 2020 a bien voulu avoir voix au chapitre sur l’avenir du franc CFA, objet du colloque de Lomé en cours. Dans cet entretien, il revient sur les polémiques déjà entendues et lues ici et là, livre sans concession l’état des lieux de cette monnaie, entrevoit quelques difficultés sans pour autant manquer d’arpente des pistes suggestives allant dans le sens d’un régime flexible pour la future monnaie « ECO ».

 

Il se tient présentement dans notre pays, une rencontre de grande importance le franc CFA. Vous n’êtes pas économiste, certes, mais en tant que politique ayant été candidat à une élection présidentielle, qui a écrit un programme basé essentiellement sur l’économie, nous pensons que vous devez être à même de nous en dire quelques mots. Nous sommes-nous trompés ?

Vous savez autant que moi, que l’économie est consubstantielle à la politique. Si on s’engage en politique, il faut, même si l’on n’est pas économiste, s’évertuer à comprendre l’essentiel. Quelle que soit sa formation universitaire, personne ne peut aujourd’hui prétendre gouverner un pays s’il ne possède pas un minimum de connaissances en économie.

Pouvez-vous nous faire un peu l’historique du franc CFA ?

Je ne saurai dire grand-chose. Je sais simplement que le franc CFA a été créé le 26 décembre 1945, jour où la France ratifiait les accords de Bretton Woods et procédait à sa première déclaration de parité au fond monétaire international (FMI), soit 15 années avant l’indépendance du Togo.

Il est utilisé par 14 pays d’Afrique dont les 8 de l’Uemoa (le Togo, le Bénin, le Sénégal, la Cote d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée-Bissau) et les 6 de la Cemac (le Cameroun, le Congo, la Centrafrique, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad). Il est produit, depuis sa création, à Clermont-Ferrand par la Banque de France dans son usine de Chamalières. Il est dénommé à sa naissance, le franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) puis est devenu le franc de la Communauté financière d’Afrique à partir de 1958 pour l’Afrique de l’ouest et le franc de la Coopération financière en Afrique centrale pour l’Afrique centrale. A sa création, le franc CFA pesait plus lourd que le franc français. Un franc CFA valait 1,70 franc français. Cette valeur a encore augmenté à partir d’octobre 1948 après la dévaluation du franc français et valait 2 francs français.

En janvier 1960, il y a eu l’instauration d’un nouveau franc français. C’est à partir de ce moment que le franc français était devenu plus fort que le franc CFA et 1 franc français valait 50 franc CFA et 100 franc CFA après la dévaluation du 12 janvier 1994 puis converti en Euro depuis le 1er janvier2002, date de la mise en circulation de cette dernière.

Les clauses définissant le franc CFA utilisé aujourd’hui, sont définies dans une convention dénommée « Convention de Coopération Monétaire » signée avec la France, le 4 décembre 1973.

Nous savons tous que le franc CFA fait, depuis quelques années, l’objet de critiques acerbes de la part des intellectuels ouest-africains et même d’autres venus d’ailleurs. Pouvez-vous nous rappeler les principaux reproches formulés à l’endroit de cette monnaie ?

Les reproches faits au franc CFA sont nombreux : nous avons les reproches d’ordre politique ou de souveraineté et les reproches d’ordre économique.

Au plan politique et de souveraineté, on parlera de la dénomination, de la centralisation de la production, de la présence de représentants français dans les instances techniques des institutions de la zone et de la garantie de convertibilité.

On pense que les dénominations, que ce soit le franc des Colonies françaises d’Afrique ou le franc de la Communauté financière d’Afrique (CFA) rappellent le colonisateur et de ce fait, portent atteinte à notre souveraineté.

Outre la dénomination, il y a la centralisation de la production de la monnaie. La production de monnaie et la politique monétaire sont les deux rôles régaliens de toute banque centrale. Le franc français était produit par la banque de France, le yen est produit par la banque du Japon, le yuan par la Banque de Chine et donc logiquement, le franc CFA devrait être produit par la Bceao, ou du moins, la Bceao devrait pouvoir choisir librement le lieu où elle doit produire sa monnaie, ce qui n’est malheureusement pas le cas. L’autre clause dénoncée, parce qu’incompatible avec notre statut de pays indépendants est la présence de représentants français dans les instances techniques des institutions de la zone (le Conseil d’Administration et le Conseil de Politique monétaire pour la Bceao et la Commission bancaire pour l’Uemoa).

L’accord de 4 décembre 1973 prévoit la désignation par la France, de deux administrateurs pour participer au Conseil d’administration de la Bceao. Pour ce qui concerne la garantie de convertibilité, nous pourrons l’aborder dans l’aspect économique.

Au plan économique nous avons la garantie de convertibilité, l’arrimage du franc CFA sur l’euro suivant une parité fixe, la centralisation des réserves de change, la liberté des transactions courantes et des mouvements de capitaux entre les différentes zones.

La France apporte donc une garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle au franc CFA. Elle s’engage ainsi à répondre à toute demande de conversion des banques centrales de la zone « franc », même en cas d’épuisement de leurs réserves de change, ce qui justifie l’inconditionnalité. Dans l’accord du 4 décembre 1973, l’article 1er prévoit que les modalités de cette garantie devraient être précisées par une convention de compte d’opérations. Par cette convention, la France s’engage à soutenir l’existence du franc CFA au plan international et à en assurer la convertibilité illimitée et inconditionnelle. Ce qui traduit toujours une position de pays assistés. Le deuxième reproche économique fait au franc CFA est son arrimage sur le franc français puis sur l’euro à taux fixe, Un euro valant alors 655.957 franc CFA.

Une monnaie est arrimée sur une autre lorsqu’elle est en régime de change fixe avec cette dernière qui lui apporte, par des accords de convertibilité, la garantie internationale nécessaire aux opérations de change avec les autres monnaies.

Y-a-t-il un régime autre que celui de l’arrimage fixe ?

L’alignement d’une monnaie sur une autre, n’est pas nécessairement à taux fixe. Il peut se faire également à taux flottant ou flexible, c’est-à-dire la valeur de la monnaie change en fonction de son offre et de sa demande. Une monnaie peut être aussi arrimée sur un panier de devises, c’est-à-dire sur plusieurs monnaies à la fois. C’est cette dernière solution que proposent les économistes ouest-africains. Concernant la centralisation des réserves de change, il est dit, avec la convention du 4 décembre 1973, que la Bceao doit obligatoirement déposer 50% de ses réserves de change sur un compte d’opérations ouvert auprès du trésor français en contrepartie de la convertibilité illimitée et inconditionnelle. Ces dépôts sont rémunérés avec un taux plafond de 1.5% et un taux planché annuel de 0.75% versé aux pays de la zone, indépendamment de l’état créditeur ou débiteur du compte, et qui bénéficient d’une garantie de change. Ces réserves seraient estimées en fin 2015 à 13.000 milliards de CFA pour les 2 zones CFA, l’Uemoa et la Cemac, confondues.

La convention de coopération monétaire prévoit également la liberté de transactions entre les 14 pays de la zone franc, et entre les unions monétaires. Mais, après la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994, cette transaction n’est plus très active entre l’Uemoa et la Cemac à cause de la différence de parité désormais créée. Elle est alors plus active entre la zone « franc » et la zone euro.

Il paraît que cet arrimage a beaucoup de conséquences néfastes sur économie. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

On peut parler grosso modo de 5 grandes conséquences économiques de l’arrimage à taux fixe : premièrement il fait du franc CFA, une monnaie forte pour des économies faibles.

L’euro étant une monnaie forte, l’arrimage sur elle à taux fixe fait du franc CFA une monnaie forte. Une monnaie forte a certes des avantages mais pour des économies faibles comme les nôtres, cela pose problème. Nous sommes une économie faible parce que nos produits ne sont pas compétitifs sur le marché international. Nous n’avons pas une économie industrialisée. Nos moyens de production sont faibles. Cette faiblesse est accentuée par la force de la monnaie qui vient renchérir les coûts de production et diminue drastiquement la compétitivité de nos produits à l’exportation.

Nous avons ensuite La limitation de la politique monétaire. Les instruments de souveraineté économique d’un pays sont le budget et la monnaie. La politique monétaire permet à un pays de réguler les entrées et les sorties de capitaux suivant les besoins et les priorités en variant la valeur de sa monnaie. Ainsi, lorsqu’un pays sent le besoin d’attirer les capitaux étrangers, attirer l’expertise étrangère, ou de freiner la sortie de capitaux nationaux, par exemple, sa politique monétaire va consister à ce que sa banque centrale augmente la valeur de sa monnaie et ses taux directeurs. Ce qui va entraîner l’augmentation des taux d’intérêts par les banques commerciales.

A l’inverse, lorsque le pays à un moment veut freiner l’entrée des capitaux étrangers et stimuler les exportations, il peut dévaluer sa monnaie et diminuer les taux directeurs. C’est ce qu’on appelle la dévaluation compétitive. La chine a beaucoup utilisé la politique monétaire pour son émergence économique.

Il est donc clair que si la monnaie est fixe, elle ne peut se prêter à ces jeux importants pour booster la croissance et /ou pallier les chocs économiques extérieurs. Dans ces conditions, la politique monétaire de la zone va se réduire seulement à la manipulation des taux directeurs, de la liquidité bancaire et des réserves de change disponibles.

Quel est le lien entre cet arrimage et le taux d’inflation dans la zone CFA?

Par ailleurs l’arrimage entraîne un plafonnement de l’inflation. Dans la zone CFA, on œuvre pour que la politique monétaire n’engendre pas plus d’inflation que dans la zone euro, puisque le franc CFA y est rattaché. Ce qui amène à un maintien de l’inflation entre 2 et 3% pour le rapprocher le plus possible de celle de la zone euro qui est de 1.2%. Cela fait d’ailleurs partie des 3 critères de convergence de 1er rang de 2015 de l’Uemoa. Or, si ces taux sont bons pour les pays à économie forte comme ceux de la zone euro, les économistes s’accordent à reconnaitre que les nôtres pourraient supporter, voire mieux se porter, avec des inflations plus fortes allant jusqu’à 10%.

En effet, une inflation, quand elle est peu élevée (inférieure ou égale à 10 %), dans les pays à économie faible comme les nôtres, elle stimule la croissance par augmentation de la production. Ce n’est qu’à un degré très élevé que l’inflation décourage les investisseurs et les producteurs, ce qui va ralentir la croissance. Ceci n’est pas le cas dans les pays à économie forte où, quel que soit le niveau de l’inflation, elle a tendance à ralentir la croissance voire, à provoquer la récession. La Chine a un taux d’inflation 3 à 4 fois supérieur à celui des pays de la zone franc, le Rwanda, a un taux d’inflation qui avoisine les 10% ; mais nos économies sont loin de mieux se porter que celles de ces pays.

Vous venez de parler du franc CFA comme monnaie forte et des réserves de change. Concrètement qu’est-ce qu’une monnaie forte et une réserve de change ?

Une monnaie est dite forte lorsqu’elle fait office de réserve de valeur sur le marché de change, c’est-à-dire, lorsqu’elle constitue une épargne contre les fluctuations monétaires dans les institutions de prévoyance. Il faut faire la différence entre une monnaie dont la valeur a augmenté et une monnaie forte. Pour parler de monnaie forte il faut une stabilité sur une longue période. Ce qui met en confiance les investisseurs et qui fait que cette dernière fait office de réserve de valeur. Ceci est la conséquence des perspectives politiques, de la politique budgétaire du ou des pays qui l’utilisent et de la politique monétaire de la banque émettrice, rendant cette dernière stable sur le long terme.

Souvent désignées « L’arme de guerre des banquiers centraux », les réserves de change sont des avoirs détenus par les banques centrales ou les Etats en devises étrangères ou en or. Leur quantité est proportionnelle à la viabilité de l’activité économique de la zone. Elles servent à épargner pour importer face aux aléas du commerce international, notamment en cas de balance commerciale déficitaire et à contrôler le taux de change, c’est-à-dire la valeur de la monnaie en cas de politique d’entrée ou de sortie de capitaux. Elles peuvent aussi servir à investir. Elles permettent de créer les dévaluations compétitives et de se protéger contre elles. Les devises étrangères constituant les réserves doivent être des devises stables. C’est pour cela que l’or est également utilisé.

Les défenseurs du franc CFA lui trouvent des avantages. Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?

Au rang des avantages du franc CFA évoqués par ses défenseurs, nous pouvons citer : la discipline monétaire rigoureuse avec l’avantage de la stabilité monétaire, la protection contre les dévaluations compétitives, la diminution des coûts de sa fabrication et de son acheminement, la protection contre les détournements et la falsification, la baisse relative des prix à l’importation.

Selon certains économistes, la stabilité serait le fruit de l’action combinée de l’arrimage et de la rigueur de gestion, résultat de la présence française dans les institutions de contrôle communautaires.

Mais selon d’autres économistes, la stabilité dont on vante tant les mérites, ne profiterait en réalité qu’aux entreprises européennes, notamment françaises installées dans la zone, qui ne sont plus exposées aux risques de fluctuations monétaires et qui peuvent ainsi rentrer chez elles avec l’intégralité de leurs bénéfices et en plus, aisément au nom du principe de la liberté des transactions courantes et des mouvements de capitaux, figurant dans l’accord de 1973.

Les défenseurs du CFA évoquent aussi souvent la protection offerte à ce dernier par l’arrimage à l’Euro contre les dévaluations compétitives. Ceci ne serait en réalité que la conséquence de la stabilité évoquée plus haut.

Par ailleurs, parmi les raisons évoquées pour justifier la centralisation de la production, est la diminution des coûts de production et d’acheminement du franc CFA vers les pays de la zone.

Nous ne connaissons malheureusement pas la fourchette réelle d’économie faite aux pays de la zone par cette centralisation.

En outre, la centralisation de la production en France serait un rempart contre les risques de détournement et de la falsification du franc CFA.

Enfin, comme c’est le cas pour toute monnaie forte, en même temps qu’elle entraîne une hausse des prix à l’exportation, provoque une baisse relative de ces derniers à l’importation. Le franc CFA étant une monnaie forte parce qu’arrimée sur l’Euro, permet une baisse relative des prix à l’importation hors de la zone Euro.

Les Africains demandent la disparition du franc CFA, mais il paraît que l’Eco proposé par les présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ne répond pas à cette exigence. Dites-nous ce qui va changer entre le franc CFA et l’Eco proposé.

Le nouvel Accord 2986 pour la création de l’Eco présenté à Abidjan le 21 décembre 2019, et ratifié un an plus tard par le Parlement français, le 10 décembre 2020, fait mention des dispositions suivantes :

Au plan politique et de la souveraineté, La centralisation de la production et la garantie de convertibilité sont maintenues inchangées. L’accord modifie la clause sur la représentation de la France dans les instances de décision des institutions. Au lieu de 2 représentants désignés par la France pour siéger au Conseil d’administration de la Bceao, c’est une personnalité indépendante désignée de commun accord entre la France et la Bceao et en plus, la France a la possibilité de désigner, en cas de besoin, une personnalité avec voix délibérative.

La clause sur la représentation modifiée, s’enrichit de deux nouvelles dispositions. L’une sur la transmission d’informations techniques à intervalles réguliers et l’autre sur la possibilité pour la France de demander une réunion à un niveau politique.

Dans le premier cas, la Bceao devra transmettre à la France régulièrement, des informations lui permettant de suivre l’évolution du risque qu’elle encourt. Les parties prenantes à l’accord pourront se rencontrer au niveau technique en tant que de besoin.

Pour le second, l’un des signataires peut demander une réunion à un niveau technique lorsque les conditions le justifient, notamment pour prévenir ou gérer une crise. Seule la dénomination a été fondamentalement supprimée.

Qu’en est-il au plan économique ?

Au plan économique, la garantie de convertibilité, l’arrimage à parité fixe et la centralisation de la production sont maintenus inchangés. L’arrimage est maintenu et est toujours gardé à taux fixe de 655.96. Selon les informations, il est fort probable que l’Eco soit également produit en France.

Seules les réserves de changes ont été libérées et la latitude est donnée à la Bceao de les transférer vers les institutions de son choix.

Ce qui donc a fondamentalement changé sur les deux plans, c’est la dénomination et la libération des réserves de change.

Mais là encore, une question se pose. Les réserves de change constituent la contrepartie de la garantie de convertibilité. Comment comprendre le paradoxe de la libération des réserves de changes et du maintien de la garantie de convertibilité ? Qu’est-ce qui constitue désormais la contrepartie de la garantie de convertibilité, si les réserves de change sont libérées ?

Quelles sont les difficultés que vous entrevoyez pour le passage effectif à l’Eco ?

A notre avis les difficultés à prévoir seront de trois principaux ordres : l’obtention d’une monnaie comme le souhaitent les populations ouest-africaines, les difficultés internes à l’organisation communautaire, les difficultés vis-à-vis de la Cedeao puis celles liées à la structure de la nouvelle monnaie.

Sur six dispositions contenues dans la convention de 1973, seules deux ont été effectivement abrogées par loi du 10 décembre 2020. Selon cette loi, les Africains devront encore compter avec beaucoup de clauses à polémiques notamment la garantie de convertibilité, l’arrimage à parité fixe, la centralisation de la production, et la représentation de la France dans les institutions, malgré que cette dernière ait pris un nouveau visage. C’est dire que l’accord est loin de permettre l’obtention d’une monnaie comme le souhaitent les populations.

Mais, à supposer que le franc CFA est totalement abandonné aujourd’hui, les difficultés existeront toujours et seront, à mon sens, liées au fonctionnement interne de l’organisation communautaire, aux rapports avec la Cedeao et à la structure de la nouvelle monnaie.

En interne, Il y aura, du moins, pendant un moment, l’éternel problème du respect des critères de convergence. L’acte additionnel No 04/99 du 8 décembre 1999 portant pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité (PCSC), adopté par les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone, a eu pour horizon d’évaluation le 31 décembre 2002 et était composé de 4 critères de 1er rang et de 4 critères de 2ème rang. Pour cause de difficulté pour les pays de les respecter, l’acte additionnel a été modifié par 3 fois et l’horizon d’évaluation repoussé de même, pour 2005, 2008 puis 2013.

Toujours devant les difficultés liées à l’inobservance de l’acte de décembre 1999 et des autres qui allaient suivre, un autre acte a été adopté le 2 octobre 2015, réduisant les critères de premier rang à 3 et ceux de 2ème rang à 2. Un nouvel l’horizon a été défini et fixé à fin 2019. Malgré cet ajustement, une évaluation faite en fin 2019, montre que seuls 2 critères sur les 5, en l’occurrence le critère du taux l’inflation moyen, ont été respectés par tous les 8 pays de la zone. Les trois restants ont connu moins de succès et des fortunes diverses. A côté de cette difficulté, il y aurait l’insuffisance d’engagement et de solidarité dans la zone. En effet, vu toutes ces difficultés à faire respecter rien que les critères de convergence, il y a lieu de s’’interroger sur le degré d’engagement et de solidarité des uns et des autres. Nous ne devons pas non plus, perdre de vue les dissensions internes éventuelles.

Le deuxième ordre de difficulté sera vis-à-vis de la Cedeao. Il faudra convaincre les autres pays de la Cedeao de s’aligner à postériori.                           

La décision de créer une monnaie de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) était prise depuis 1983 avec la même dénomination « Eco ». C’est donc dans l’ordre normal des choses que l’accord du 21 décembre 2019 ne plaise pas aux autres pays de la Cedeao.

Le président Muhammadu Buhari a vivement critiqué la décision des pays de l’Uemoa de se précipiter à prendre l’Eco en remplacement de leur franc CFA sans une préalable concertation. Six pays de la zone ont déjà condamné le nom Eco proposé pour remplacer le franc CFA. Les 6 pays anglophones (le Nigéria, le Ghana, la Sierra Léone, le Libéria, la Gambie) plus la Guinée.

Toutefois, même si ce problème est résolu, nous pensons que l’Eco sera une « Structure créée » sans les plus puissants comme membres fondateurs.

En effet, Il est clair désormais que les pays de la zone CFA, ont décidé de créer progressivement l’Eco Cedeao. L’Eco Uemoa va alors se mettre en place et les autres pays de la Zmoa (Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest) prendront progressivement le train en marche. Cela signifierait que ces pays ne seront pas considérés comme des membres fondateurs de l’union monétaire. Si c’est le cas, la question qui va se poser sera de savoir comment des pays comme le Ghana et surtout le Nigéria, dont le PIB représentera environ 70 % de celui de l’union, vont-ils siéger en tant que de simples membres ? Un accord devra donc être trouvé pour résoudre ce problème.

Comme autre difficulté, on peut avoir des antagonismes entre les blocs.

Etant donné que les pays de l’Uemoa ont décidé de devancer les dispositions sans l’entente préalable avec leurs pairs de la Cedeao, le problème structurel qui risque de se poser concernera le régime d’arrimage. La loi autorisant l’approbation du nouvel accord de coopération maintient le régime d’arrimage fixe tandis que les pays comme le Ghana et le Nigéria pencheraient plutôt pour un régime flexible. Il paraitrait même que certains pays de la zone Uemoa seraient, naturellement pour un régime d’arrimage fixe.

Tous ces problèmes doivent être aplanis dès maintenant car ils peuvent non seulement entraver le passage de l’Eco Uemoa à L’Eco Cedeao une fois que l’Eco Uemoa sera créé, mais peuvent même retarder ou empêcher la création de ce dernier. Nous osons croire que le dernier sommet des chefs d’Etat de la Cedeao en janvier 2021 s’y est déjà penché puis que l’échéance de la création de la monnaie commune sous régionale est fixée à 2025.

La dernière difficulté sera liée à la structure de la nouvelle monnaie. Ici le challenge sera de créer une monnaie gardant au moins les avantages du franc CFA. Il faudra donc une monnaie stable, une monnaie qui protège des dévaluations compétitives, une monnaie dont les coûts de fabrication et d’acheminement seront au moins égaux à ceux appliqués par la France et une monnaie difficile à détourner et/ou à falsifier.

Nos banquiers centraux et nos économistes doivent donc réfléchir à tous ces problèmes.

A supposer qu’on obtienne aujourd’hui la disparition complète du franc CFA, pensez-vous que ce sera la droite ligne vers l’émergence de nos Etats ?

Si nous disposons de notre propre monnaie ce sera une excellente avancée. Mais l’émergence économique ne saurait être l’apanage d’un seul phénomène isolé. Elle est le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs dont les deux principaux sont, à notre avis, les perspectives politiques et les perspectives économiques.

Il faut donc, ne pas seulement créer une monnaie pour espérer réaliser l’émergence. La création de monnaie n’est pas une panacée pour amener un pays à l’émergence économique, la preuve en est que plusieurs pays ont leur propre monnaie, depuis de nombreuses années, mais n’ont pas à ce jour, atteint cet objectif. Mais il est aussi vrai que tous les pays qui ont atteint cet objectif ont leur propre monnaie. Il faut donc avoir sa propre monnaie et une monnaie bien structurée, mais en plus, il faut une bonne politique monétaire permettant d’agir efficacement sur l’offre de la monnaie de manière à atteindre durablement, l’objectif de triple stabilité, celle des taux  directeurs, celle des taux de change et celle des prix, de manière à stimuler l’activité économique en boostant la croissance et le plein emploi, et à assurer l’équilibre extérieur.

Au plan économique, les deux instruments de la souveraineté d’un Etat étant le budget et la monnaie, une bonne politique monétaire doit être accompagnée, d’une bonne politique budgétaire incluant la maîtrise du budget et le ciblage des domaines pourvoyeurs de la croissance.

Mais, il faut savoir aussi qu’une monnaie unique ou communautaire, une parfaite politique monétaire et une bonne politique budgétaire ne suffisent pas, non plus, à elles seules, à enclencher le phénomène de l’émergence économique. Il existe d’autres déterminants indispensables sur lesquels il faut agir, notamment le capital humain.

Il faut donc notamment renforcer notre secteur tertiaire (le non-marchand comme le marchand), pour redynamiser le secteur primaire et surtout pour installer un véritable secteur secondaire.

Au plan politique, il faudra ajouter à tout cela, la qualité des institutions et la bonne gouvernance politique, la lutte contre la corruption, la lutte contre l’instrumentalisation de la justice…

L’étude de tous les pays émergés (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) ou au seuil de l’émergence, montre la présence de ces différentes caractéristiques.

Qu’attendez-vous de ces assises ?

Qu’elles comblent les attentes.

Certaines personnalités invitées à ces assises telles que Nathalie Yamb, estiment que notre compatriote Kako Nubukpo ne joue pas franc jeu et ont décliné l’offre. Qu’en pensez-vous ?

Monsieur Nubukpo a été l’un des grands procureurs du franc CFA. Laissons-le agir. C’est à l’œuvre qu’on connait l’artisan.

D’après tout ce qu’on vient de dire, l’arrimage a certes des inconvénients mais aussi des avantages. Vous personnellement, êtes-vous pour un régime fixe ou flexible ?

Quand le régime est fixe, il protège des fluctuations monétaires, mais ne permet pas les dévaluations compétitives. Quand il est flexible, il permet les dévaluations compétitives mais expose aux fluctuations monétaires. En Afrique nous avons en général, deux problèmes importants : l’absence d’industrialisation et la corruption. Il faudra en tenir compte.

Tout dépend donc de ce que nous voulons et les sacrifices que nous sommes disposés à faire. Opter pour un régime fixe, c’est accepter le modeste continuellement, opter pour un régime flexible, c’est accepter le dur aujourd’hui pour le meilleur demain. A chacun de faire son choix. Moi je suis pour le second.

Que diriez-vous en guise de conclusion ?

Quelles que soient les difficultés auxquelles nous serons confrontés, le plus important est la naissance de la nouvelle monnaie. Le reste, je pense que le génie africain le surmontera.

Dieu bénisse l’Afrique.

Propos recueillis par la Rédaction

Le Nouveau Reporter
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