Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

L’artiste Rouquaiya Yérima : entre peinture, sculpture, scénographie et costume

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Un impérieux désir de beauté habite le cœur de l’homme. Que cette beauté apparaisse comme une promesse de bonheur ou comme une simple valeur d’ordre sensible, peu importe ! Nous en subissons l’attrait et en éprouvons l’intime nécessité. Au-delà du simple fait de contempler la nature et toute la création, il y a l’imagination de l’Homme qui lui permet de créer. Tout ce que nous faisons, nous le pensons d’abord, et on ne peut penser à partir du néant. Les arts plastiques constituent alors un des moyens d’expression par excellence de la pensée et de la créativité. Aujourd’hui au Togo, une talentueuse nouvelle génération de jeunes femmes artistes plasticiennes foisonne.

Parmi elles, des pépites de l’activité plastique au pays de Paul Ahyi, entre autres Abla Beauty Akpaloo, Cristelle Flagbo, Maëlle Ayanou, Amélie Akogonya, Akoko Amedon, Ayawavi Reine Adjoyi, Elotodé Sokpoh, Egnonam Stacey Agneketom, Gela Freït et Rouquaiya Yasmine Yerima. Cette dernière prépare actuellement une exposition qui a lieu du 10 mars au 30 avril 2022 prochain à l’Hôtel Onomo à Lomé. Qui est-elle et quel est le visage de sa création artistique ?

L’origine de sa vocation artistique

« Nous aussi sommes de la race divine et possédons le pouvoir de créer », proclamait dans les temps anciens le stoïcien grec ARATOS.

Rouquaiya Yérima a hérité l’art de dessiner de sa famille qui est une famille de dessinateurs. Cette vocation à devenir artiste était née de façon précoce. Autodidacte à ses débuts, elle s’est frottée d’abord à la peinture et a persévéré jusqu’à ouvrir son propre atelier. De 2006 à 2009 elle a suivi une formation en arts plastiques au centre « Bel’Arts » à Lomé. Ensuite, sa rencontre avec l’artiste plasticien et designer togolais Kossi Assou à partir de 2012 a été déterminante dans la suite de son parcours. Cette rencontre marque un véritable tournant dans sa pratique et l’a emmenée à se remettre radicalement en question. Il s’est agi, à partir de Kossi Assou, d’une véritable immersion dans le domaine de la création en arts visuels. A Djassémé, Rouquaiya Yérima a trouvé un espace de rencontres, de création, de formation et de réflexion sur les arts visuels.

Confrontations, échanges et enrichissements ont forgé sa jeune personnalité au point où l’artiste nous confie : « Je travaille pratiquement avec tout ce qui me tombe sous les mains : le bois, la terre, la peinture, le tissu, la calebasse, le fer… J’aime bien travailler avec ces matériaux, car je les aime quand je les touche… Tout comme dans les autres domaines que j’embrasse, je crée avec amour et passion. Je poursuis la perfection dans tout ce que je fais. »

L’heure de la maturité

Outillée grâce aux nombreux ateliers et stages de formations auxquels elle a participé notamment le programme de formation et de recherche du Laboratoire Elan des RECRÉÂTRALES à Ouagadougou au Burkina-Faso et la résidence de formation « Femmes en Scène » à Grand Bassam en Côte d’Ivoire, Rouquaiya Yérima va à son tour transmettre son savoir-faire. À partir de 2012, elle anime l’atelier de formation aux enfants du club Activités Créatrices et Manuelles (ACM) en technique de base de dessin et peinture à Sotouboua au centre du Togo. Animatrice, aussi, d’atelier de peinture, de dessin, de fabrication de perles et de chaussures artistiques aux enfants à l’orphelinat Avenir Enfance Togo de Lomé, l’artiste s’inscrite de plus en plus dans des campagnes d’animation jeune public.
Elle commence dès 2014 à exposer à Djassémé au Togo. Au cours de la même année, elle va exposer au Goethe-Institut de Lomé dans l’exposition collective de la 4ème édition du PERSPECTIVES FANM de la plasticienne Améyovi HOMAWOO. En 2015, elle participe aux ateliers en art et exposition de peinture à Dassa au Bénin, atelier de François OKIO.

Aujourd’hui, elle participe régulièrement à des ateliers et des résidences artistiques. Elle a exposé à la Délégation de l’Union Européenne de Lomé en 2018 et au Centre des Nations Unies en 2019. Puis au musée Paul AHYI à Lomé en 2020 sur le projet de résidence de création et d’exposition ArtMéssiamé.

Rouquaiya Yérima s’est fait remarquer par son immense talent également parmi les quatre autres femmes bénéficiaires de la résidence d’artistes plasticiennes dénommée « Cinq (5) femmes plasticiennes face à la résilience » en relation avec le thème de l’année 2021, « Femmes francophones, femmes résilientes ». C’était dans le cadre des activités qui rentrent dans la célébration de la Journée Internationale de la Francophonie (JIF) 2021 au Togo et avec le soutien de la Représentation pour l’Afrique de l’Ouest (REPAO) de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cette activité a été organisée et abritée par la Commission nationale de la Francophonie (CNF) du 15 au 31 mars 2021. La résidence de création artistique a eu comme point d’orgue une exposition collective dans les locaux de la CNF des œuvres créées par les cinq artistes plasticiennes. Rouquaiya Yérima a figuré en bonne place, comme on pouvait s’y attendre !

D’autres cordes à son arc

Elle a réalisé en 2014 la scénographie sur la création « le Tohu d’après » d’Alexandre MONDE mise en scène par Alougbine DINE du Bénin dans le cadre du projet Circuit Art M’attend. Elle crée la scénographie de « les Sans », une écriture de Ali Ouédraogo, mise en scène par Freddy SAMBIONA sur les RECRÉÂTRALES. Ses multiples compétences seront amplement explorées sur la célèbre création théâtrale « One coup for Kaiser », une écriture collective dans une mise en scène d’ALFA Ramsès où elle sera à la fois scénographe et costumière.
Elle a été également scénographe pour des spectacles et travaille en tant que costumière avec de nombreuses compagnies : elle a réalisé des costumes à distance pour la compagnie “Théâtre d’aujourd’hui” basée à Montréal au Canada et pour la compagnie “Éclats des eaux” qui a joué à l’Institut français de Lomé en 2018. Avec ses compétences multiples, elle répond aux besoins de créations scénographiques, de décoration au théâtre et de création d’accessoires.

Sa création pour l’exposition « L’Adversité » à l’Hôtel Onomo

Dans la conception de Rouquaiya Yérima, le choc et les bouleversements issus de l’adversité doivent être sublimés ou transcendés pour aboutir à quelque chose de mélioratif véritablement. Elle témoigne :
« J’ai travaillé sur le thème de l’adversité que l’on vit seul dans sa tête et qui est notre quotidien, notre psychologie. Je la questionne et me pose la question pourquoi ne pas instaurer la coopération, l’harmonie, le vivre ensemble, l’Amour … Pourquoi ne pas plutôt se libérer de cela et ouvrir les yeux au moins une fois sur la beauté que cela serait de vivre ensemble sans penser nécessairement que l’autre m’empêche d’évoluer … »

L’artiste nous conseille de ne pas faire trop de fixation sur les éventuelles conséquences de l’adversité qui jonchent notre vécu. Cette tempête dont le siège est notre cerveau ne devrait pas accaparer tout notre être.

« J’exhorte également enfants, parents, amis (hommes et femmes) … dans mes œuvres à une auto rééducation de nos pensées car tout se passe dans la tête, ce qui fait que dans mes œuvres, on verra beaucoup plus les têtes dans les têtes. C’est pour dire qu’on s’embrouille pour rien dans la tête, car personne ne crée rien dans cette vie pour se sentir mal quand ton prochain ne te permet pas d’évoluer ou fait la même chose que toi. »

En revenant à la vie quotidienne, l’artiste pour éclairer son argumentaire, nous donne l’illustration de la cohabitation entre les marchands au niveau de leurs différents étalages : « Les gens sont au marché et vendent les mêmes articles en s’alignant mais c’est à l’acheteur de faire son choix et c’est vrai que si l’autre n’est pas là tu as plus de chance de vendre, mais n’oublions pas que nous tous nous ne faisons qu’un. »

Selon Rouquaiya Yérima, l’adversité révèle notre résilience qui nous amène à puiser au tréfonds de notre être pour y faire face :
« Et que le prochain qui fait comme nous, en aucun cas n’est notre adversaire, c’est chez nous dans nos têtes que cela se passe ainsi. Il est apparu pour que vous, vous ayez plus de chance de connaître votre force, et le mieux c’est de coopérer pour rester en bon terme pour un futur meilleur… »
De l’ensemble des toiles à exposer se dégagent par endroits des bustes. Ce sont pour la plupart des silhouettes humanoïdes ayant des caractéristiques de femmes dont les têtes portent des cheveux qui se dressent comme des cornes, voire des antennes. Ces formes, ces figures sont configurées par des couleurs à la fois claires et sombres ; froides et chaudes ; contrastées et non contrastées. La texture des toiles est à la fois scintillante et granuleuse.

Les œuvres de Rouquaiya Yérima dans leur luxuriance nous renvoient à une certaine géographie sous-marine dans toutes leurs composantes d’espèces vivantes. Ce monde de macro, mais aussi de micro-organismes sur le plan animal, végétal et minéral semble créer une artificielle biodiversité qui ne dit véritablement pas son nom. C’est d’ailleurs vers cette biodiversité qui n’est que le reflet de l’entente, de la concorde et de l’harmonie que nous conduit l’artiste.

Au total, Rouquaiya Yérima a su se faire sa place dans le domaine de la création artistique togolaise et dans la sous-région ouest-africaine. Artiste dont la texture des créations dégage des effluves sur fond d’une palette élégante et d’une puissance dans l’expression constitue déjà une valeur sûre dans l’écosystème togolais. L’exposition d’œuvre d’art dont il est question en ce mois de mars et avril 2022 reste un florilège de nuages de peinture.

Elle est un véritable tremplin sur l’univers, le sens et la portée d’une œuvre qui fascine. L’adversité ne va pas sans une certaine agressivité. C’est beau la profondeur du concept de l’artiste qui invite à désamorcer l’adversité à partir de nos têtes, dans nos têtes. L’espoir est donc permis comme nous le clame l’écrivain congolais Sony Labou Tansi : « J’ose renvoyer le monde entier à l’espoir, et comme l’espoir peut provoquer des sautes de viande, j’ai cruellement choisi de paraître comme une seconde version de l’humain. »

Adama AYIKOUE, Critique d’art.

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Le Nouveau Reporter
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