Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

Emotion arc-en-ciel de Hedjole Dziedzom KANGNI ou le roman antiféministe

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Par Adama AYIKOUE, Critique

Le sexe différencie sur le plan physique l’homme de la femme. Il s’agit de ce que la personne est physiquement tandis que le sexe social résulte de l’apprentissage dès l’enfance des tâches, des comportements, des rôles et des responsabilités que la société attribue à chaque sexe. C’est ce que la personne doit être socialement selon qu’elle est de sexe masculin ou féminin. Ces notions tendent finalement vers le concept d’égalité homme-femme ; d’équité de genre ; de parité ; d’approche genre entre autres. Toutes ces considérations féministes semblent être loin des préoccupations de Hedjole Dziedzom KANGNI dans son roman Emotion arc-en-ciel. La jeune romancière togolaise dès sa première publication fait forte impression à travers sa prise de position antiféministe relative à une certaine victimisation de l’homme. Qu’en est-il véritablement ?

Le paratexte
Publié à AGAU Editions à Lomé au Togo en juillet 2020, Emotion arc-en-ciel est un titre largement justifié. Il s’agit d’un récit à suspenses, une cascade de suspenses avec de l’émotion qui est garantie. Ici le suspense est maintenu et entretenu de la première page jusqu’à la dernière. La trame du récit est une succession de péripéties, de rebondissements savamment tricotés sur toute la ligne par Hedjole Dziedzom KANGNI.


Le frontispice, l’image en regard de la couverture est heureusement un masque : masque qu’ont porté royalement les deux femmes qui ont traversé la vie amoureuse agitée du héros. Cette illustration est une œuvre de l’artiste plasticien togolais Claude WEST qui en fait l’analyse et l’interprétation suivante :
« C’est un visage de femme dont les yeux fermés et une tête baissée nous permettent de moins nous attarder sur l’extérieur, qui nous préoccupe plus, le plus souvent, pour plutôt nous concentrer sur l’intérieur qui est difficile à cerner car aussi inextricable que la complexité des traits de ce visage dessiné à l’encre. » (p.100)

Le texte
Il s’agit d’un récit à la première personne de 102 pages structuré en 13 Chapitres.
A 35 ans, Soké, malgré sa situation plus que confortable professionnellement et financièrement est toujours resté célibataire. Il évitait surtout de tomber sur une « Gbangamidou » possessive et paresseuse qui « des fois, dès le premier contact, elles me font la liste de leurs besoins : maisons, voitures, pour elle-même ou pour les parents, un compte en banque et que sais-je encore ? » (p. 13)
« Vu ma situation et mon extrême jeunesse, elles se jettent à mes pieds toutes apparemment amoureuses. Mais comment faire le bon choix qui ne me fera jamais regretter ? Comment savoir si cette Amandine qui court après moi à ma sortie du boulot ou même cette Catherine qui me téléphone au moins toutes les dix minutes ne courent qu’après mon argent ? Comme l’a dit ma mère, il va falloir que je tente ma chance encore une fois. » (p. 13 – 14)
Cette maman va jusqu’au chantage : « Etant mon benjamin, j’ai très envie de voir ton rejeton afin de m’en aller en paix et je saurai quoi dire à ton père là-bas. J’attends que tu te décides vite à prendre femme et me donner un petit-fils. Mais si tu persistes dans ton célibat et que tu laisses ta mère s’éteindre, tu bloqueras ainsi l’ascension de mon âme vers le monde des ancêtres. Je pense que tu ne le souhaites pas à ta pauvre mère. » (p. 10)
Sous ces coups de boutoirs répétés de maman Mawoulawè, notre Soké se jeta à l’eau mais malheureusement par deux bonnes fois il se noya.
Sa toute première expérience avec Lonlongnon a été une série d’infidélités soldée par deux grossesses dont Soké n’était malheureusement pas l’auteur. Cette trahison avait même coûté la mort subite de sa pauvre maman.
Prenant son courage à deux mains, il refait une nouvelle expérience avec Eva qui l’avait trompé avec l’un de ses employés subalternes à qui elle avait déjà donné dans un passé récent trois enfants à l’insu de Soké qui n’avait même pas eu droit à une seconde chance.
« Ainsi venait d’être encore tournée une mauvaise page de ma vie. Chers lecteurs ma question est de savoir s’il est encore possible d’aimer. » (p. 98)
André MAUROIS plante le décor : « L’esprit des femmes est ainsi fait des sédiments successifs apportés par les hommes qui les ont aimées, de même que les goûts des hommes conservent les images confuses et superposées des femmes qui ont traversé leur vie et souvent les souffrances atroces que nous a fait subir une femme deviennent la cause de l’amour que nous inspirons à une autre et de son malheur. »


Quant à la forme, il s’agit d’une écriture purement littéraire, sobre, claire et efficace, un mélange de réalisme et d’émotion qui reste fidèle à la ligne de conduite de la jeune romancière qui fait partie désormais « des certitudes d’espérance » (pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage d’Albert TEVOEDJRE) dans l’écosystème de la littérature togolaise.

La romancière ose prendre le parti des hommes


« Les femmes ne sont pas des arachides dont on découvre l’intérieur après décorticage. » avertit-elle déjà la page 11. Loin d’être Calixthe BEYALA, Aminata SOW FALL, Mariama BA ou Ken Bugul, Hedjole Dziedzom KANGNI porte la toge d’une avocate des testiculards. L’antiféminisme nouveau est arrivé. Il vient du Togo et ne manque ni de souffle, ni de mots crus pour se faire entendre, ni même, parfois, de bons motifs d’indignation. « Depuis quand la barbe commence-t-elle à apprendre des choses aux cils ? N’oublie pas que le cil existait bien avant que la barbe ne pousse » (p. 8).


En tant que femme, elle a eu le mérite de rentrer aussi efficacement dans la peau du héros homme, Soké pour en faire véritablement un personnage classique qui nous rappelle les infortunes du personnage d’Agbezuge de Sam OBIANIM dans Amegbetoa ou les aventures d’Agbezuge.
D’emblée, elle règle leur compte aux naïfs qui pourraient croire que la guerre des sexes se serait soldée par une trêve conclue sur la victoire des femmes. Le combat continue, avec ses coups bas. La question n’est pas non plus que telle ou telle privilégiée soit parvenue à tirer son épingle du jeu social ou conjugal : fondamentalement, les femmes restent opprimées par la « dictature des couilles » et Madame KANGNI s’est donnée comme mission de le leur faire savoir. Elle n’est pas du genre à pactiser avec l’ennemi avant de lui avoir fait mordre la poussière. L’auteure d’Emotion arc-en-ciel a bien conscience que la charge qu’elle sonne contre ce qui fonde, somme toute, les traditions de « sa fratrie » d’origine, ne lui vaudra pas que des compliments… « Ce sont les ragots qui nourrissent le monde et habillent nos caractères. » (p. 58)
Elle s’est royalement désolidarisée de la gent féminine dans sa dénonciation. Un choix qu’elle assume :
« Tu es le seul sculpteur de ton existence et ton futur dépendra de la qualité du bois que tu auras choisi. » (p. 62)

Conclusion
« Le pays avait faim. L’argent tuait la vertu. On vendait son âme pour nourrir sa chair. » Cette citation de Sony Labou Tansi résume à elle seule la situation des deux femmes qui sont rentrées dans la vie de Soké. « L’amour n’existe pas sans l’argent » (p. 45) ; « Que ne peut faire la femme pour l’argent. » (p. 52)


Le roman Emotion arc-en-ciel, la toute première publication de Hedjole Dziedzom KANGNI répond aux préoccupations de la dynamique de la vie elle-même à l’instar de cette citation d’Antoine de SAINT EXUPERY :
« C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué, d’abandonner tous les rêves par ce que l’un d’entre eux ne s’est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu’on a échoué. C’est une folie de condamner toutes les amitiés parce qu’une d’elles vous a trahi, de ne pas croire en l’amour juste parce qu’un d’entre eux a été infidèle, de jeter toutes les chances d’être heureux juste parce que quelque chose n’est pas allé dans la bonne direction. Il y aura toujours une autre occasion ; un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y’a toujours un nouveau départ… »

Le Nouveau Reporter
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