Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

Germaine Sikota ou la danse plus forte que tout

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Sa passion pour la danse devrait amener bien des observateurs à s’intéresser un peu plus à ce que la danse signifie pour Germaine Sikota. Sans doute faut-il aller chez les tifosis italiens et leur rapport avec le football ou vers Rio de Janeiro au Brésil pour comprendre que ce qui apparaît, pour les gens « sérieux », comme étant du divertissement, est pour d’autres non seulement un vrai métier, mais surtout une passion intégrale dont les points forts procurent autant de bonheur profond que peut apporter, à une équipe médicale, la réussite d’une opération chirurgicale risquée. Qui est véritablement la danseuse professionnelle Germaine Sikota ?

  1. Germaine Sikota et l’Ecole des Sables

A l’état civil elle est Ikéléhou Kossiwa Essiomle, plus connue sous le nom d’artiste, Germaine Sikota, chorégraphe, danseuse-interprète et entrepreneur culturel originaire du Togo. « Sikota » mieux, « Kota bé Essi » signifie en langue éwé-mina ce qu’on peut exprimer comme étant l’eau d’un système de croyance et de rituels ; un ensemble de règles de conduite, de mode de vie à la fois énergétique et spirituel. Ce paradigme d’appartenance et de dépendance lié aux lois cosmiques est surtout héréditaire. Ainsi, enfant déjà, elle a été initiée à la danse en suivant sa mère elle-même danseuse. L’artiste témoigne : « Ma mère faisait partie d’un groupe de danse appelé dans le temps Bobohoun. Elle était une membre à part entière et détenait le rôle principal dans les mises en scène lors de leur spectacle. Le groupe de danse était souvent invité à prester lors des évènements heureux comme malheureux. » En 2007, sur la trace de ce leadership culturel maternel, Germaine Sikota met fin à ses études universitaires de Droit pour se consacrer entièrement à la danse malgré le regard extérieur qui pesait sur elle. Elle suit une formation en danse contemporaine en 2011 à l’École des sables, un centre de formation internationale à Dakar au Sénégal fondée et dirigée par Germaine Acogny. Mise à part la formation en chorégraphie, Germaine Sikota a bénéficié d’une formation en art de l’enseignement de la danse. C’est une école où on a la possibilité de rencontrer des chorégraphes de renom et surtout travailler avec eux sur des projets. Participer à des formations à l’Ecole des Sables offrent beaucoup d’opportunités à condition d’être alerte pour savoir les saisir.

Germaine Sikota
  1. Son parcours à travers de multiples ateliers de formation

Elle se perfectionne à la pratique de la danse et de la chorégraphie en participant à plusieurs ateliers de formation professionnelle notamment Engagement Féminin (Centre de développement chorégraphique, CDC la Termitière au Burkina Faso), formation professionnelle en danses traditionnelles, contemporaines et hip hop (Ecole des sables au Sénégal) ; atelier Corps nu (Lomé au Togo), atelier Traces et formation en technique d’improvisation (au Bénin) entre autres. Au total, ce fut des occasions où elle a été formée par des chorégraphes pédagogues de renommée internationale comme Bud Blumental, Olivier Lefrancois, Tayeb, Patrick Acogny, Nora Chipaumire, Auguste-Bienvenue Lila Greene, Nathalie Shulmann, Emmanuelle Lyon, Frey Faust, Fransceca Pedulla, Sara Parisi…

En 2008, elle crée l’association SIKOTA avec laquelle elle développe plusieurs projets de formation et d’initiation à la danse et la chorégraphie sur toute l’étendue du territoire national. Ce sont entre autres programme NIKAALA (2015 – 2016) ; promotion de la danse chorégraphique au Togo (2015) ; initiation à la danse contemporaine (2016) ; formation professionnelle en techniques de création chorégraphique (2017). En Février 2018, elle co anime un atelier intitulé « Danse traditionnelle et création d’aujourd’hui » avec Isabelle Maurel et Kossivi Afiadenyigban.

De même, elle est lauréate de trois programmes de l’Institut français à Paris notamment « Visa pour la création 2018 » ; « Appui aux opérateurs culturels Afrique et Caraïbes 2019 » et « Résidences 2019 ». Lauréate de « Visa pour la création », un programme de résidence de l’Institut Français de Paris, elle crée après trois mois de résidence (avril-mai-juin 2018) à Bamako et à Ouagadougou, un spectacle solo intitulé « ADIDO, l’arbre à l’envers ».

En Octobre 2018, elle participe au programme « courant du monde », un programme du ministère de la culture en France dont le thème est « Coopérer et créer dans le monde francophone ». En novembre de la même année, elle présente son spectacle « l’arbre à l’envers, ADIDO » en Allemagne au Danz’art festival. En décembre 2018, elle représente le Togo au festival international Dialogues de corps à Ouagadougou. En début d’année 2019, le festival Fari Foni Waati l’accueille pour sa troisième édition à Bamako. En mars de la même année, elle a suivi une formation des acteurs culturels, organisée par l’Université Senghor à Alexandrie en Egypte en partenariat avec la Commission nationale de la Francophonie, à Lomé sur le thème : « Création d’un parcours culturel ».  Du 26 octobre au 26 novembre 2019, elle entre en résidence de création à Maputo au Mozambique et participe à la plateforme internationale de danse contemporaine Kinani où elle présente son spectacle « Adido ».

  1. Le festival international de danse Nikaala

Le 03 septembre 2018, Germaine Sikota lance solennellement en tant que pédagogue de la danse le festival international de danse Nikaala, terme qui signifie littéralement en langue akposso « Je danse ». Il s’agit d’un festival destiné aux femmes artistes avec l’appui des différents partenaires entre autres Eeg-cowles Foundation, l’ONG BELGAFRI, l’Institut Français du Togo, l’Institut Français à Paris et le Goethe Institut, l’association C’est Comment. Présent dans l’écosystème culturel du Togo depuis trois ans, le festival international de danse Nikaala a été créé par l’association Sikota afin d’offrir à la gente féminine en général et aux jeunes filles en particulier, passionnées de la danse, un cadre de rencontre, d’échange et d’expression en faveur de leur art.  Désirant mettre en évidence les différents métiers exercés par les femmes dans le domaine du spectacle en général et de la danse en particulier, le festival réunit sur chaque édition, plus d’une dizaine de femmes chorégraphes, issues de compagnies artistiques aux créations diversifiées et complémentaires, du continent africain et du reste du monde.

  1. La création artistique de Germaine Sikota

La danse est le métier que Germaine Sikota exerce envers et contre tout. Parce que son art reste et demeure plus fort que tout. La danse en général est une structure de base de plusieurs composantes : la musique, l’espace et le temps. La danse contemporaine n’est pas autre chose, mais elle autre va encore beaucoup plus loin en se donnant davantage de liberté et de souplesse dans la création. Ici, il faut tout inventer en s’appuyant sur des techniques basiques. C’est l’art de mouvoir son corps sur un rythme donné selon un certain accord entre l’espace et le temps. La liberté qu’offre la danse contemporaine permet de tout inventer ou réinventer et Germaine Sikota utilise les techniques fondamentales acquises durant son riche parcours pour imprimer une orientation à ses créations. A la manière d’un oiseau qui construit son nid, sa technique de danse est aujourd’hui protéiforme mais reste basée sur les danses traditionnelles à la sauce des danses modernes telles que le jazz et le hip hop. Elle s’inspire des rythmes traditionnels à l’instar du travail qui se faisait au sein du ballet Kobama de Lomé où elle avait été formée. L’influence des danses traditionnelles telles que adjifo, agbadja, krounima, cadodo, adjogbo, tsonhoin, lawa, etc. donnent un cachet spécial à ses créations. Ses sources d’inspiration sont des expériences vécues par des femmes dans le monde. Ces expériences peuvent être bonnes ou mauvaises. Cela lui donne des pistes pour creuser et créer. Ses thèmes sont l’injustice et l’incompréhension ; la survie dans un monde où tout va de travers ; l’engagement de la femme sur tous les plans pour son propre bien-être.

C’est ici qu’il y a lieu d’évoquer la place prépondérante du corps et de l’orientation qu’on lui donne en tant que matériau essentiel et incontournable dans la conception, l’élaboration et l’exécution de la danse. Le corps dans l’arène de la danse représente ce que la voix symbolise pour un chanteur en plein concert live. Germaine Sikota dispose d’un beau corps envoûtant, gracile, agile et souple à la manière féline. Son spectacle « Adido » (le baobab) présenté au public togolais à l’institut français du Togo le 06 décembre 2019 en est une parfaite illustration. Un baobab d’un genre particulier s’était, en effet, enraciné sur le podium de la grande scène de l’IFT ; de ses branches et de ses feuilles, Adido a rappelé le mystère de l’Afrique à travers un arbre légendaire qui renferme la mémoire des ancêtres. Evocation d’un passé perdu ou plutôt caché dans un tronc et réservé aux seuls initiés, dans une nuit africaine où l’obscurité révèle paradoxalement les secrets, une ombre noire a mis à jour l’énigme symbolique d’un arbre qui ne l’est pas moins. Devant de nombreux spectateurs curieux et admiratifs, la danseuse Germaine Sikota a laissé s’exprimer son corps, voix privilégiée dans un monde de silence.

Dans le cadre de la transmission et du partage, Germaine Sikota est coach de la zumba et donne des cours de danse et de chorégraphie dans les écoles et instituts, les salles de spectacles, les gymnases et à domicile tout en intégrant la méthode d’approche somatique à ses cours. Actuellement, elle travaille sur un projet lié à l’impact du Covid 19 sur la jeune génération de chorégraphes. Il s’agit d’un télétravail en collaboration avec les Studios Kabako à Kinshasa en République Démocratique du Congo. Naturellement, son agenda culturel de l’après crise sanitaire relative au corona virus est dans sa tête et dans son cœur…

« Tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, nous le devons une fois seulement à notre père, mais deux fois à notre mère. » Cette idée du philosophe, du penseur du savoir dire, Amadou Hampaté Bâ dans son autobiographie, Amkoullel, l’enfant peul pourra résumer à suffisance la réussite professionnelle de Germaine Sikota. Selon cette dernière, «la danse est comme tout autre art ; c’est un excellent moyen pour toucher l’âme des personnes. Il s’agit d’un canal que toute personne sans distinction aucune, peut utiliser pour communiquer avec soi et avec l’extérieur ».

Adama AYIKOUE, Critique d’art

Le Nouveau Reporter
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