Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

Livre / Note de lecture: Le Trône royal ou la réitération du caractère sacré de la vie

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Entre drame communautaire et psychologique, respect des traditions et bon sens, le livre de Monseigneur Nicodème Barrigah-Bénissan fait l’effet de rendre le lecteur à la fois sensible aux coutumes de sa terre natale et enthousiaste à l’idée de briser le joug des croyances qui brisent la vie humaine, sans raison. Publiée aux éditions Saint-Augustin Afrique en 2019, la pièce Le Trône royal se fonde sur une histoire commune de succession pour souligner surtout que tous les prix ne devraient pas être payés pour la conquête d’un pouvoir.

En trois actes de deux scènes chacun, l’auteur raconte l’histoire d’une succession au trône royal d’une communauté traditionnaliste. Le roi meurt et le conseil des sages désigne un successeur en la personne de son frère cadet, Sédoefia. Tout doit aller vite puisque, avant trois jours, tous les rituels devraient être faits, notamment celui par lequel le successeur désigné doit immoler trois enfants chargés du service du roi défunt dans l’au-delà. Les enfants capturés pour la cause sont ceux du successeur. Dans l’intrigue, ce détail, sans doute le plus important de tous, change tout.
Sédoefia refuse de sacrifier ses propres enfants pour devenir roi. Il avoue le poids du choix cornélien mais se résigne à subir la foudre des us communautaires. Il est ligoté et attaché à un arbre dans la forêt des ancêtres d’où personne n’est jamais revenu vivant. Deus ex machina : sa femme qui a suivi le peloton d’exécution vient le délivrer et monte avec lui un plan pour inverser la situation en leur faveur.
Non aux sacrifices humains

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Le premier enjeu de la pièce reste le sort à réserver aux coutumes qui étreignent sans pitié les sociétés traditionnelles d’Afrique. Dans Le Trône royal, c’est la coutume des enfants à sacrifier pour accompagner le rituel d’enterrement des rois qui est mise en cause et en crise. Le hasard a voulu que les enfants capturés pour la cause soient ceux du successeur désigné. A priori, cela a fait l’effet de décider le prochain roi à tourner le dos aux coutumes de sa communauté. Sédoefia ne comprend pas pourquoi il lui faut tuer trois innocents, qui plus est, ses propres enfants, avant de pouvoir devenir roi. Le dramaturge a réussi le pari de dissiper le doute qui emplit le lecteur au moment de découvrir que Sédoefia refuse de se soumettre à la tradition parce que ce sont ses enfants qu’il doit immoler : il fait dire à ce dernier que son refus ne dépend pas uniquement de ce détail central.

« J’admire votre respect de nos coutumes et je vous remercie de vouloir m’épargner. Mais ces enfants qui remplaceront les miens n’appartiennent-ils à personne ? Pourquoi dois-je imposer à d’autres ce que moi-même je rejette de toutes mes forces ? », a indiqué Sédoefia lorsqu’un membre du conseil a proposé qu’on capture trois autres enfants pour le rituel des sacrifices humains. Cela montre que l’acte de défiance de Sédoefia est mû par la volonté de mettre fin à des pratiques qui n’en valent plus la peine. « Il me semble que le moment est venu de revoir notre manière d’honorer nos rois défunts sans causer de deuils inutiles. Pourquoi semer la désolation dans d’autres familles alors que nous pleurons déjà la mort de notre roi ? », a-t-il lancé au conseil des sages.

Le Trône royal est ainsi une dénonciation des coutumes abjectes auxquelles certaines communautés pourraient encore s’accrocher sans pouvoir recourir à la raison pour comprendre qu’il est temps d’y tourner le dos et d’aller de l’avant. Sédoefia apparaît dès lors comme un héraut en mission pour la transformation de sa société. Sa témérité a payé : en acceptant de mourir pour sauver la vie de ses enfants innocents que la coutume des sacrifices humains a désignés comme agneaux sacrificiels, il porte la tunique du Christ qui donne sa vie pour sauver l’humanité.

C’est un mérite et c’est ce que souligne l’auteur dans l’épilogue à travers le regard du griot : « les vrais courageux sont ceux qui luttent pour sauver la vie des autres au risque de perdre la leur ! » avant d’envoyer tout le monde en mission pour la « Grande Commission » : « Le rideau va tomber sur cette scène de théâtre et il va se lever sur une autre scène, celle de la vie réelle où chacun est appelé à devenir un nouveau roi, un nouveau Sédoefia »

Visage de femme forte

La pièce du prélat togolais se démarque particulièrement par son engagement en faveur de la femme. On se garde de dire qu’elle est de tendance féministe mais il y a des éléments techniques qui autorisent à admettre l’évidente peinture méliorative de la femme.

Dans le parcours qui a conduit Sédoefia à triompher de l’énigme de la condition à remplir pour accéder au trône de sa communauté, sa femme a joué un rôle prépondérant. Adolé est d’abord une femme qui, à la différence des autres, témoigne d’un sang-froid à toute épreuve. Ainsi, lorsque son mari lui a annoncé la condition imposée par la coutume, elle n’a pas montré de signe de panique. Elle a suivi le cheminement de réflexion avec Sédoefia et a contribué à influencer astucieusement la décision finale. Pourtant, elle avait des raisons de faire du scandale : « Un jour, j’ai vécu la même chose que nos enfants et j’ai juré d’épargner cette mort inutile aux victimes qu’elle poursuit », a-t-elle révélé. Elle raconte en effet comment, à dix ans, elle a failli être sacrifiée pour les besoins de l’inhumation du grand-père de son mari.

En gardant sa sérénité et son calme, en faisant prévaloir la raison sur l’émotion dans une pareille conjoncture, Adolé se distingue comme une femme forte, une sorte de Penda ou de Grande Royale réincarnée. De plus, pour sauver son mari de la damnation prononcée par le conseil des anciens, elle a eu le mérite de mettre au point un plan stratégique pertinent et efficace. « (…) Je ne pouvais pas rester toute seule à la maison alors que tu allais te jeter dans la gueule du loup. Je t’ai donc suivi au palais et, cachée dans le buisson, j’attendais la suite des événements. Lorsque j’ai vu sortir les gardes qui t’emmenaient (sic) vers la forêt sacrée, j’ai aussitôt deviné leur intention et je me suis glissée dans le palais pour voler la gourde contenant la potion sacrée », raconte-t-elle. C’est cette gourde que Sédoefia va brandir plus tard comme preuve de sa rencontre avec les ancêtres et ainsi faire admettre la supposée recommandation de mettre fin à la coutume des sacrifices humains nécessaires dans le rituel d’inhumation des chefs. Au bénéfice d’Adolé, il s’agit d’un acte de bravoure manifeste qui s’est poursuivi avec sa randonnée à travers la forêt à la recherche de son mari offert en victime expiatoire à la colère des dieux.
Le Trône royal, une œuvre politique

En marge de sa vocation déclarée, celle de dénoncer la coutume des sacrifices humaines ; Adolé a parlé de « mort inutile » ; Le Trône royal peut être lu comme une pièce à laquelle l’auteur a assigné une vocation finale très politique. Dans l’épilogue, le griot fait le résumé de l’intrigue, distribue les bonnes et mauvaises cartes puis finit son oraison en mettant l’accent sur l’intérêt que l’humanité peut avoir à préserver la vie, les vies. Les choix de Sédoefia dépeignent un leader qui n’est pas prêt à tout pour le pouvoir. Il aurait pu accepter de sacrifier ses enfants pour devenir chef mais il ne l’a pas fait ; il avait même eu la proposition de faire immoler d’autres enfants mais il s’y est farouchement opposé ; mieux, il a admis l’idée de faire quelque chose pour que ce modus d’accession au pouvoir n’ait plus droit de cité.
Dans cette Afrique marquée par des problèmes politiques récurrents, généralement nés de la volonté morbide de conserver le pouvoir d’État ou d’y accéder par tous les moyens, au prix souvent de cruelles guerres civiles, le message de la pièce prend davantage de relief. C’est une invitation à la bonne gouvernance, au respect de la démocratie ; c’est une exhortation à l’élite afin qu’elle cesse d’imposer ses humeurs et son égoïsme aux populations au moment où les vrais enjeux sont ailleurs et qu’il faut travailler à réduire la pauvreté endémique en ces coins de la planète.

Prédestination

Il ne serait pas superflu ou impertinent d’évoquer un dernier élément, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité dans les angles d’analyse de la pièce. Peut-être même que ce dernier élément correspond à la véritable motivation du dramaturge en écrivant la pièce.

En faisant attention au nom du personnage principal, on se rend compte qu’il est lourd de sens. « Sédoefia » signifie ainsi littéralement dans les langues de la partie méridionale du Togo, du Bénin et du Ghana « le destin a fait de lui un roi ». Cette considération onomastique fondée sur l’anthroponymie des cultures des régions sus-désignées laisse entrevoir que l’intrigue relève d’une prédestination.

Dans cette dynamique, les différentes péripéties de l’intrigue étaient inscrites dans l’accomplissement nécessaire d’une prédestination. Si le destin a déjà décidé et convenu que ce personnage sera roi, on peut en déduire que tout ce qui s’est passé dès l’instant où le roi est décédé était prévu. Tous les acteurs agissaient dès lors pour que s’impose in fine ce que le sort avait écrit et. C’est une espèce de fatum qui devait s’appliquer à tous : des notables à Adolé en passant par la communauté, les enfants du successeur désigné et ce dernier lui-même.

Faut-il en dire que la motivation nodale du dramaturge était de réitérer l’implacabilité du destin ? C’est une constante dans les communautés comme celle qui est mise en scène dans la pièce. On y est sûr que la vie de l’homme est prédéfinie par « Sé », le destin ou le fatum, et que tout ce que l’individu fait ici-bas est non seulement l’accomplissement de ce destin mais aussi et surtout la mise en scène chronologique des faits et gestes prévus de longue date. C’était écrit que Sédoefia accèdera au trône un jour. L’intrigue et son dénouement procèdent d‘un déterminisme auquel nul ne saurait se constituer en obstacle, si ce n’est pour accomplir la prédiction.

Ordonné prêtre en 1987, Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan fut évêque d’Atakpamé puis archevêque de Lomé depuis 2019. En dehors de la littérature, il est aussi auteur compositeur avec une centaine de chants à son actif. Il a également la Commission Vérité Justice et Réconciliation dont les conclusions ont été remises au Chef de l’État togolais en 2012. Le Trône royal se caractérise par une histoire et un style ordinaires. L’enjeu ne réside pas dans l’aventure de l’écriture mais bien dans l’écriture d’une aventure.

Kodjo Avuletey

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