Récépissé N° 0010/HAAC/12-2020/pl/P

A la découverte de « Légba », sculpté aux Jeux de la Francophonie à Kinshasa en 2023

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« Légba » désigne dans une des langues locales du Togo une divinité protectrice. Habituellement érigée en argile, elle est dressée, tel un vigile à l’entrée du village, des maisons, du marché ou encore des couvents religieux. Cette divinité joue plusieurs rôles dans la société. Elle est sollicitée pour conjurer un mal, guérir une maladie ou encore éviter une mort presque certaine à toute personne de la communauté. En retour, la communauté lui offre le sacrifice qu’elle exige pour exaucer leurs prières.

A Kinshasa, l’artiste togolais Tayé Tayé dont le nom signifie portez la ruse a sculpté en ronde-bosse et en taille directe un Légba aux dimensions humaines de 1.20 mètre de haut et de 40 centimètres de tour de taille. Tayé Tayé semble, à travers les dimensions, la texture et les éléments décoratifs de la sculpture, inviter silencieusement le visiteur à un tour d’observation de 360 degrés de sa création. La frontière entre l’art et la réalité est très ténue ici puisque chaque élément de ce Légba artistique démontre son utilisation en tant qu’objet de culte, de vénération et forme un soutien pédagogique pour une meilleure compréhension de l’univers des rites traditionnelles.

Le Légba de Tayé Tayé ressemble à un enfant debout qui boude les yeux fermés. Avec une mine grincheuse et une bouche infiniment triste, il reste emmuré dans une peau rugueuse qui se refuse à toute caresse.

Mais contrairement aux enfants, Légba a un couteau planté dans la tête et un œil immense en plein cœur de la poitrine. Le couteau fait référence aux sacrifices offerts à la divinité et représente son pacte avec les hommes. Quant à l’œil grandement ouvert sur la poitrine, c’est un œil omniscient qui veille sur la communauté et protège contre les forces du mal. Un bracelet découpé, composé de fer, de cuivre et de bronze sert de paupière à l’œil. Ce bracelet est mis au poignet du malade après avoir consulté la divinité pour qu’elle délivre le malade des esprits qui le rendent souffrant. Ce bracelet s’appelle Tchambaga en langue locale et est le symbole d’une divinité du nord du Togo. Sa présence ici au centre de cette statue traditionnellement érigée par les populations du sud du Togo, évoque le brassage culturel et spirituel qui est une réalité dans les cultes traditionnels. 

Le visage et la poitrine du Légba portent des marques. Ces marques représentent des scarifications selon l’artiste. Les scarifications sont des marques identitaires uniques et spécifiques à chaque communauté. Elles sont ciselées dans la chair lors des cérémonies initiatiques. L’artiste a fait le choix d’en représenter plusieurs ici, une façon de continuer à mettre l’accent sur son désir d’unité. Une unité qui transcenderait les différences religieuses et spirituelles entre les peuples togolais. 

Légba porte à son cou, un collier avec un pendentif en métal issu de la récupération. L’intérieur carbonisé de ce pendentif représente l’énergie de vie qui se dégage de la divinité. Cette énergie est une force qui libère le malade des esprits maléfiques. Souvent le malade porte ce collier pour tirer profit de cette énergie salvatrice.

Le dos du Légba, plat et lisse, contrairement à sa peau, s’offre comme une surface d’exploration et de découverte des symboles du Fa. Selon les croyances locales, le Fa est l’esprit tutélaire qui préside à l’existence de chaque personne. Il est révélé lors d’une consultation à la naissance des enfants. Chaque esprit tutélaire est matérialisé par un Légba confectionné lors de la première consultation du Fa, qui est spirituellement activé par un sacrifice. Cette démarche de découverte du Fa qui aboutit à la création d’une divinité personnelle, Légba, fait de ces deux entités, un couple inséparable. C’est cette relation que l’artiste a tenté de matérialiser en imprimant les symboles du Fa au dos de la sculpture. Il rend ainsi visible, les forces spirituelles qui président à la destinée des hommes dans la conception traditionnelle du monde au Togo.

Importance du travail de l’artiste

L’artiste a travaillé sans sketch ni maquette. Guidé par son intuition, les formes de Légba se sont imposées à lui au bout de longues heures de taille. Il a su puiser dans ses souvenirs de voyage, dans son milieu d’origine, Tohoun au Sud-Est du Togo et les localités environnantes d’Adjaha et de kpovidji au Bénin où la présence du Légba est remarquable. Pour achever son œuvre, il l’a carbonisé et a ajouté les métaux. Il a puisé les éléments constitutifs de l’œuvre, les scarifications, le collier, le grand œil ainsi que la représentation du Fa dans les pratiques traditionnelles vodou du Togo. Ce faisant, il a transformé la statue en un véhicule contemporain des valeurs culturelles et spirituelles de la religion traditionnelle. 

Malgré le foisonnement des églises et des mosquées, il y a toujours les représentations de Légba dans plusieurs communautés au Togo. Cette divinité a ses adeptes qui continuent de perpétuer les pratiques ancestrales, en dépit des désapprobations des ténors de la modernité. Ces croyances ont en effet été diabolisées depuis la colonisation et l’introduction du Christianisme et de l’Islam en Afrique de l’Ouest. Ces attaques des religions monothéistes se poursuivent de nos jours.

Tayé Tayé à travers la statue déploie l’art comme un outil de réhabilitation des religions traditionnelles qui, contrairement aux idées reçues, prônent des valeurs de paix, de tolérance et d’harmonie. S’il encourage la pratique de la religion traditionnelle et l’affirmation d’une identité religieuse, l’artiste va bien au-delà d’un combat d’arrière-garde de préservation du passé. Il avoue d’ailleurs que c’est «une invitation faite aux jeunes du continent africain, à ne pas oublier leurs traditions ancestrales et leurs origines qui se diluent et s’effacent devant les symboles et les images de la société de consommation. » Au-delà de la sphère religieuse, la pratique artistique de Tayé Tayé, basée sur l’utilisation de matériaux naturels et le recyclage interroge les jeunes sur les valeurs consuméristes que la société moderne leur vend à coup de publicité. Une consommation effrénée qui ne cesse de détruire la planète et remettre en cause l’équilibre et le bien-être de tous les habitants de la terre.   

C’est probablement cette capacité à créer une sculpture contemporaine à travers laquelle il relie des problématiques du passé aux défis du futur qui a permis à l’artiste Tayé Tayé de remporter la médaille de bronze au concours de la sculpture aux Jeux de la Francophonie en 2023.

Toujours en perfectionnement

L’artiste Tayé Tayé de son vrai nom, Dodji Kwami Agbetoglo, en a fait du chemin. Depuis ses débuts au village artisanal de Lomé en 2002, le sculpteur de bois n’a cessé de perfectionner sa technique en se frottant aux artistes du Togo et d’ailleurs, pour aboutir à un style personnel. Il aime réaliser des sculptures de grand format dans du bois brut qu’il parachève parfois avec la technique de brûlage sur bois. Sa passion pour le bois est née quand il a vu les formes invraisemblables que les sculpteurs du village artisanal donnaient au bois. Parfois, il expérimente avec l’assemblage des métaux et du bois. C’est une partie de cette évolution et expérimentation qui est encapsulée dans les œuvres « métamorphose féminine », une représentation de la femme Africaine idéale, et « Légba », tous deux présentés aux jeux de la Francophonie 2023. Ce couronnement aux jeux de la francophonie est prometteur pour le jeune artiste togolais et pourrait le propulser sur la scène internationale.

TOMFAI Badjala, Responsable du village artisanal de Lomé

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